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Qui est de mauvaise volonté manifeste ?

10/02/2023

Madame la Ministre,

Dans la longue interview accordée au journal Le Soir le 7 février, vous semblez vous lancer dans une « chasse aux fake news » à propos du projet de décret portant, notamment, sur l’évaluation des profs.

Depuis plus d’un an, vous êtes restée sourde aux propositions syndicales d’aménager des dispositifs législatifs permettant à la fois d’améliorer les pratiques pédagogiques, de faire face aux situations problématiques engendrant de la souffrance pour l’équipe éducative ou les élèves et de faire fonctionner les régimes disciplinaires existants. Aujourd’hui, dans votre entêtement à lier le plan de développement des compétences professionnelles à la possibilité d’une sanction à l’emploi, vous faites preuve de mauvaise volonté manifeste ! Jugeons plutôt.

« Le texte pour lequel des syndicats menacent de claquer la porte était prévu dès le départ dans le Pacte pour un enseignement d’excellence »

Dès le départ les Syndicats ont fait savoir que s’ils acceptaient de rentrer dans la logique de concertation du Pacte, l’évaluation-sanction était inacceptable pour eux. Ca aussi, c’était prévu et inscrit dans le Pacte d’excellence.

« Cette prise de position arrive à un moment étonnant »

Ce qui est étonnant, c’est que vous ne l’ayez pas vu venir. Depuis plus de deux ans, nous répétons que ce qui rend le décret inacceptable c’est de relier les entretiens de développement professionnel et l’évaluation-sanction parce que cela institue dans les écoles un système de management pédagogique par les directions. Aucune des quinze modifications apportées par votre cabinet dans la négociation ne remet en cause le lien entre ces deux parties.

« C’est, je veux le rappeler haut et fort, avant tout un texte sur le soutien et l’accompagnement des enseignants. (…) Donc dans l’écrasante majorité des cas, ce sera surtout l’occasion d’entendre un enseignant sur ses besoins, ses difficultés potentielles et de lui faire un feed-back… »

Ca, c’est ce que les syndicats demandaient : qu’on ne laisse plus les enseignants « se démerder », qu’on puisse dans les écoles parler de ses besoins et de ses difficultés, en équipe et avec la direction… Mais le décret fait de l’entretien de soutien et d’accompagnement la première phase d’une procédure d’évaluation qui peut déboucher sur le licenciement, ce qui rend impossible d’échanger sereinement et en toute franchise sur « ses difficultés potentielles ».

« Ca, c’est le premier volet, avec lequel les syndicats sont d’accord. Là où ça bloque, c’est sur la deuxième partie qui prévoit une évaluation sommative proprement dite »

Ce qui bloque, c’est d’abord le lien qui est fait entre les entretiens de développement des compétences professionnelles… et l’évaluation-sanction du deuxième volet. Et ça, vous vous gardez bien de le dire.

« … on ne peut pas faire d’angélisme. L’évaluation sanction est pour les cas rares où un enseignant dysfonctionne sur le plan pédagogique ou sur le plan même de son attitude au travail. »

Vu du terrain des enseignants, on se demande qui fait de l’angélisme ? Dans le texte, tous les membres du personnel sont concernés par la procédure ; chaque directeur pourra décider dès le premier volet d’imposer des Plans de développement des compétences (objectifs d’amélioration, instructions et formations), 6 mois plus tard décider seul sur base de ce « Plan » de déclarer des carences (pédagogiques) ou de la mauvaise volonté (disciplinaire) et d’entamer une procédure d’évaluation qui peut en quelques mois aboutir au licenciement. Cela concerne donc tous les enseignants et la menace existe bel et bien dès le départ.

« Vous comprendrez que face à un enseignant qui dysfonctionne sur le plan professionnel, qui refuse de prendre la main qu’on lui tend, on ne peut pas juste, par exemple, lui donner un avertissement ou le changer d’école. »

S’il ne s’agissait que de pouvoir sanctionner un enseignant qui dysfonctionne sur le plan professionnel, les syndicats ne s’opposeraient évidemment pas à ce décret. Ce que les syndicats refusent, c’est de donner un pouvoir de management pédagogique aux directions. La question est donc idéologique : comment obtient-on une amélioration du système scolaire ? En s’appuyant sur les équipes éducatives (capacitation et émancipation) ou en renforçant le pouvoir des directions (soumission et obéissance) ? C’est d’autant plus paradoxal que, dans le Pacte, on demande aux enseignants d’adopter la première alors qu’on pratiquera avec eux la deuxième.

« L’enseignement ne peut être le seul secteur où l’on accepte qu’un travailleur récalcitrant, qui ne veut faire aucun effort et qui ne souhaite pas suivre sa direction, continue sa pratique »

Dans l’enseignement, déjà actuellement, les travailleurs incompétents qui dysfonctionnent peuvent être licenciés. Vous le dites malgré vous, l’enjeu semble bien de faire pression sur « le travailleur récalcitrant et qui ne souhaite pas suivre sa direction » en menaçant de le licencier sous prétexte qu’il « ne veut faire aucun effort ». 

« Il en va aussi de la qualité de notre enseignement, de l’intérêt des élèves et des autres membres de l’équipe éducative. Cette évaluation permettra, aussi, de donner une meilleure image de la profession enseignants. »

L’image d’une profession non récalcitrante qui obéit à la direction ? Il en va surtout de la manière dont on entend obtenir une amélioration de la qualité de notre enseignement, de l’intérêt des élèves. Les systèmes éducatifs qui ont choisi le management pédagogique des directions (volet 1 lié au volet 2) ont surtout créé de la triche (pour atteindre les objectifs) et de la déterioration des relations de travail, sans faire progresser les apprentissages des élèves. Les systèmes qui ont choisi de renforcer la capacité des équipes éducatives et de valoriser leurs compétences (volet 1 sans lien avec le volet 2) sont quant à eux parvenus, à améliorer les apprentissages des élèves tout en valorisant « l’image de la profession enseignante » : une profession de professionnels compétents à qui on fait confiance… sans angélisme.

« Les syndicats ne peuvent pas accepter ce qui les arrange et retirer la prise quand ce n’est pas à leur goût. »

Si ça avait été le cas, il n’y aurait jamais eu de Pacte. Le Pacte se fonde dès le départ sur le fait qu’on ne peut pas obtenir une amélioration du système scolaire sans tenir compte de son impact sur tous les acteurs de l’enseignement. Depuis deux ans, nous rappelons les conditions auxquelles doit répondre le décret évaluation pour qu’il respecte ce fondement du Pacte : la suppression du lien entre le développement de compétences professionnelles des enseignants et la procédure d’évaluation sanction. Qu’est-ce que vous n’avez pas compris ?

Pour le SETCa-SEL, Emmanuel Fayt, Président communautaire

Pour l’APPEL-CGSLB, Elisabete Pessoa, Secrétaire générale


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